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mercredi 12 septembre 2018

Chapitre 7 (Il neigera bientôt sur Pine Ridge)


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(Version Audio du chapitre 7)

Chapitre 7

A l’abri des regards extérieurs, dans cette grange où je me sentais si loin du monde, ma mère commença à nous conter, à Chankoowashtay et moi même, les raisons douloureuse de la venue de mon père aux Etats-Unis. Ce récit, nous ramena sur les terres Irlandaises, en 1848. La famine et la pauvreté qui sévissaient en ce temps là, n’épargnaient pas un village, pas une chaumière. Les parents de mon père, Garrick et Leanne possédaient une exploitation non loin de la ville de Glengoole. Une ferme entourée de vallées, de collines et de grands chênes. Non loin de leur domaine, on pouvait apercevoir sur les vallons, des ruines d’un château, rappelant la puissance et la complexité de l’histoire irlandaise . Leur ferme portait un nom qui vous est désormais familier : Flanagan. Ils possédaient plusieurs acres de terres sur lesquelles ils élevaient des vaches mais faisaient aussi beaucoup de culture et de cueillette. Cette année 1848, ils perdirent bon nombre de leurs récoltes et une grande partie du troupeau tomba malade, les obligeant à sacrifier leurs bêtes et leurs meilleurs rentes. 

Mon père qui n’avait que 6 ans, travaillait déjà sur l’exploitation avec ses parents. Il leur prêtait main forte pour des travaux plutôt simples, un peu comme je pouvais le faire durant mon enfance dans le Dakota. Il s’occupait entre autre du poulailler, de nettoyer l’étable ou d’arroser le jardin. Il était, malgré son jeune âge, pleinement spectateur du désarroi et des difficultés que rencontraient Garrick et Leanne. Le seul endroit où mon père aimait laisser vagabonder son imagination d’enfant, c’était au pied d’un grand chêne qui trônait non loin de la ferme. Il pouvait y passer des heures assis dans ses branches ou à ses pieds.  

Pour tenter d’enrayer les difficultés qui commençaient à s’accumuler, Garrick fit appel à ses propres parents, Daniel et Joan, pour venir apporter leur savoir faire. Les premiers mois de leur venue furent payant. Mais très vite, les difficultés insurmontables que rencontrait le pays, vinrent mettre à mal tous leurs efforts. La terre semblait sèche, comme si elle n’avait plus rien à offrir. Les Irlandais commençaient à croire que Dieu les avait abandonné à leur sort et avait rendu leurs terres, pourtant si belles, infertiles et pingre. Face à la misère et aux taxes incongrues que le gouvernement britannique infligeait aux Irlandais, bon nombre de fermiers commençaient à rassembler leurs derniers sous et à quitter le pays. Garrick et Leanne voyaient les fermes disparaître tour à tour. Un soir, mon père, qui dormait dans une chambre exiguë qu’on lui avait aménagé dans les combles de la chaumière, entendit la famille se réunir autour d’une table pour envisager un nouvel avenir. Durant cette discussion, le ton montait, des pleurs et des cris se faisaient entendre. Mon père ne put s’empêcher d’écouter discrètement cette conversation d’adulte même s’il ne comprenait pas toute la complexité de leur situation sociale. 

« Nous n’avons pas d’autres solutions ! Vous ne voyez donc pas que tout le monde quitte le pays ? » lança Garrick avec fermeté comme pour faire réagir sa femme et ses parents. « Si je partais en premier pour l’Amérique, je pourrais nous assurer une vie stable. Cela prendra peut être un an ou plus mais une fois que j’aurai démarré une nouvelle exploitation là bas vous pourrez me rejoindre ! » Ajouta t-il avec optimisme. 



Leanne était peu rassurée à l’idée de laisser partir son époux et de devoir faire encore perdurer la ferme. Garrick promit à sa femme et ses parents qu’il enverrait de l’argent pour leur assurer une vie décente jusqu’à ce qu’ils puissent le rejoindre. Mon père n’envisageait pas la vie sans Garrick. Il lui était impossible d’imaginer sa famille séparée. Une émotion, décuplée de par son âge, commença à l’envahir. Il ne put s’empêcher d’intervenir et descendit rejoindre ses parents et ses grands parents dans la pièce à vivre. 

« Tu ne peux pas nous abandonner ! » hurla t-il tout en pleurant. 
« Elliott je te promet que notre séparation n’est que temporaire. Si je pars c’est parce que je sais que tu pourras être l’homme de la maison pendant mon absence. Tu veilleras sur ta mère et tes grands parents. Nous serons bientôt de nouveau réunis et nous pourrons enfin vivre heureux ». Répondit Garrick pour rassurer son fils.

Quelques jours plus tard, Garrick quitta Flanagan et partit vers un port de la côte afin d’embarquer dans un navire qui le conduirait en Amérique. La séparation fut difficile. La famille s’inquiétait de ce périple qu’entreprenait Garrick. Il partait vers l’inconnu. Nul de pouvait prévoir s’il allait réussir ou échouer, quels obstacles et quelles difficultés il allait pouvoir rencontrer. Garrick semblait être leur dernière chance. Mais malgré tout, personne ne voulait s’habituer à une vie sans lui.

Les jours, les semaines puis les mois passèrent à Glengoole sans que la famille n’ait de nouvelles de Garrick. Mon père espérait chaque jour voir arriver une lettre ou un mot. Nul ne savait si son voyage s’était bien passé, s’il était désormais en Amérique, en vie et en bonne santé. Leanne avait entendu beaucoup d’histoires sur les gens qui périssaient durant la traversée. Beaucoup d’Irlandais parlaient des maladies dans les bateaux ou des tempêtes spectaculaires que ces vaisseaux devaient affronter. 
Leanne et les grands-parents tentaient de faire bonne figure devant mon père. Mais il les entendait pleurer souvent dans la nuit et savait que l’inquiétude les rongeait. 

Leanne tenta tant bien que mal de faire perdurer Flanagan mais plus les saisons passaient plus la terre semblait s’assécher. Les dernières bêtes de la famille tombèrent malade. La situation était critique. Même si tout le monde travaillait sans relâche à la ferme, les heures passées dans les champs semblaient vaines . Alors que le moral faiblissait de jour en jour, une lettre de Garrick arriva enfin à Glengoole.           

Garrick avait envoyé de l’argent à sa famille. Mais ce qui intéressait le plus mon père, c’était ses quelques feuillets abimés par le voyage où il racontait ses premiers mois en Amérique. 
Il y détaillait les difficultés qu’il avait rencontré. Il décrivait New-York et son effervescence. Il parlait des premières rencontres qu’il avait faites depuis les cales du bateau jusque dans le quartier irlandais de la ville. Garrick rassurait également sa famille sur la vie qu’ils auraient plus tard à ses côtés en Amérique. Dans cette lettre pleine de bienveillance et d’enthousiasme, il prit soin d’adresser un mot à chacun et de rappeler son amour pour sa femme et son fils. 

Mon père demandait souvent à Leanne de lui lire et relire cette lettre. Il aimait s’imaginer New-York et ces gens de tous horizons qui peuplaient cette ville. La jeune mère aussi appréciait la lecture des écrits de son époux. Cela lui permettait de ne pas se laisser envahir par la peur de l’inconnu et par ce voyage vers l’Amérique qui allait forcément arriver. Les mois passèrent. La famille recevait une lettre toutes les trois semaines. Elle était toujours accompagnée de quelques billets qui les aidaient à appréhender les jours difficiles qui perduraient. Garrick écrivait toujours les mêmes mots rassurants et semblait ne pas perdre son attachement pour cette nouvelle vie New Yorkaises.
Puis sans que personne ne s’en rendent vraiment compte… Les lettres devinrent rare, puis disparurent. Plus d’argent, plus de bonnes nouvelles, plus de lectures rassurantes. Leanne et les parents de Garrick craignaient le pire. Comment être sûr qu’il ne lui était pas arrivé quelque chose de grave ? 

Mon père continuait à lire les anciennes lettres, seul, pour trouver du réconfort. Mais le voyage vers les Etats-Unis semblait plus que compromis sans l’aide financière qu’envoyait Garrick. Un soir, Leanne et ses beaux parents parlèrent longuement de la marche à suivre pour pouvoir rapidement retrouver une rente et partir vers l’Amérique le plus tôt possible en espérant y retrouver Garrick. 

« Nous devons redoubler d’effort ! Flanagan peut encore nous rapporter quelques pièces pour rejoindre l’Amérique » lança le grand père tout en comptant les maigres sous qu’il restait. 
« Aujourd’hui en ville j’ai croisé nos voisins, les Prescott. Ils partent pour l’Amérique la semaine prochaine ! Glengoole se vide et bientôt nous serons les seuls sur cette terre… Si nous ne réussissons pas à quitter l’Irlande, nous mourrons de faim et de pauvreté… » ajouta la grand-mère tandis qu’elle faisait, avec désespoir, l’inventaire des rations de nourriture qu’il restait dans la chaumière. 
Leanne était fatigué et à court d’idée pour redonner à sa ferme son rayonnement d’autrefois. Elle se mit à pleurer…
« Nous avons tout tenté ! Plus rien ne pousse, nos bêtes sont toutes mortes, la ferme s’effondre petit à petit. J’ignore comment nous assurer assez d’argent pour embarquer dans un bateau ! Nous devrions peut être attendre encore quelques semaines. Une lettre de Garrick va surement arriver »
«  Garrick ne donnera plus de nouvelles ! cela fait des mois que nous ne recevons plus rien… » hurla le grand-père comme pour faire réagir Leanne.


Ces mots touchèrent profondément mon père qui écoutait, comme à son habitude, la discussion depuis sa chambre. Ce soir là, il comprit que Garrick les avait abandonné à leur triste sort ou pire encore… Qu’il lui était arrivé malheur. Rempli de colère, il se mit à déchirer, une à une, ces lettres qu’il connaissait désormais par coeur. 
Les jours et les semaines qui suivirent, Leanne tenta de récolter de l’argent. Comme Flanagan semblait définitivement inexploitable, elle se mit à travailler dans les bars de Glengoole. Elle ne comptait pas ses heures et restait jusque tard le soir . Elle y voyait des fermiers, qui, comme elle, avait tout perdu. Ils noyaient leurs derniers rêves dans la bière. Parfois, pour s’assurer une rente plus généreuse, elle offrait ses services pour des instants plus charnel. Elle offrait sa bouche, ses seins et ses caresses, sans en parler à sa famille. Mon père perdait peu à peu son regard d’enfant naïf. Il voyait les suçons que sa mère tentait vainement de dissimuler. Les marques violacées faites par des mains brutales qui s’étaient saisis de son cou. Il l’entendait pleurer, chaque nuit, lorsqu’elle rentrait et comptait ses pièces, assise devant la cheminée. Leanne espérait revoir vite Garrick. Elle voulait plus que tout, réparer son coeur humilié. Partir loin de cette Irlande qui l’avait sali. 

L’hiver 1849 fut rude. La famine irlandaise prospérait. Plus personne ne s’imaginait la voir s’arrêter un jour. La nourriture se faisait rare et était souvent pauvre et peu équilibrée. La famille O’Sullivan se nourrissait essentiellement de pain et de quelques légumes soit trop secs, soit presque pourris. Leanne qui laissait la fatigue peu à peu prendre contrôle de son corps, tomba malade. 

Un après-midi, elle s’effondra dans la taverne où elle travaillait. Leanne fut ramenait à Flanagan. Elle avait une forte fièvre. Elle était amaigri et portait des marques rouges, semblables à des cloques. Elle ne cessait de les gratter jusqu’au sang depuis plusieurs jours.  
Le médecin de la famille se rendit à la ferme le plus vite possible. Mais l’état de santé de Leanne s’était déjà vraiment dégradé. Il lui diagnostiqua la Petite Vérole. Mais avec la pauvreté dans laquelle se trouvait la famille, il y avait peu de remède à prescrire et peu d’espoir à donner.
Pour éviter qu’Elliott, mon père, ne contracte la maladie de part son jeune âge, ses grands-parents l’installèrent dans la grange où autrefois les bêtes étaient nombreuses. Il y restait encore quelques poules, bien trop maigre pour être manger ou même pondre des oeufs. 

Mon père voyait Flanagan disparaître petit à petit. Cette ferme, qui était son terrain de jeux favoris il y a encore quelques années, s’effondrait peu à peu. Le grand chêne qu’il aimait tant était tombé sur une remise abandonnée.  Flanagan portait sur ses gravats, les couleurs de la tristesse et d’une mort qui semblait s’annoncer. Mon père n’avait plus le droit de s’approcher de la maison. Chaque soir, ses grands-parents venaient lui donner des nouvelles de sa mère : 
« Elle t’embrasse fort ! » « Elle a manger la soupe que grand-mère lui a préparée » « Elle va de mieux en mieux » « Tu pourras bientôt la voir… » 
Ces phrases revenaient sans cesse. Jour après jour… Si bien que malgré son âge peu avancé, mon père commença à ne plus croire un seul mot concernant l’état de santé de sa mère. Il commença à s’imaginer toutes sortes d’histoires… 
Un soir, seul dans la grange depuis bien trop longtemps, il s’interrogea : 
« Et si maman était déjà morte depuis des semaines et que l’on me cachait la vérité ? »

Il décida, pour une fois, de désobéir afin d’en avoir le coeur net. Discrètement, il s’approcha de la maison en prenant soin d’éviter les fenêtres encore éclairées. Il voyait de temps à autre sa grand-mère ou son grand-père passer. Furtivement, il tentait de jeter un oeil à l’intérieur mais n’apercevait pas sa mère. 
Mon père se rappela que lorsqu’il vivait encore dans la chaumière, il pouvait rejoindre les combles depuis une échelle qui restait accolée à la toiture. Il fit le tour de la maison à la recherche de cette échelle. Elle n’avait pas bougeait et était toujours à sa place d’autrefois. Cette échelle aussi avait subi les affres du temps. Son bois s’était quelques peu effrité et avait même perdu quelques marches. Malgré cela, mon père n’eut aucune difficulté pour grimper et rejoindre son ancienne chambre. 

Une fois dans la maison, il put enfin apercevoir sa mère. Il eut du mal à la reconnaitre. Elle était squelettique, sa peau était rougeâtre et flétrie, recouverte de cloques et de croutes  à cause de la petite vérole. Ses cheveux semblaient filandreux et parsemés. Ses mains étaient recouvertes d’arthrite, ses doigts s’étaient recroquevillaient et la faisait souffrir. Quelques unes de ses dents s’étaient déchaussées à cause d’une alimentation trop pauvre et elle arrivait à peine à parler.
Devant ce spectacle affligeant, mon père ne put retenir les émotions qui poignardées son coeur. Il tentait pourtant de rester le plus silencieux possible pour ne pas qu’on le remarque. 

Leanne hurlait pour que l’on vienne à son chevet. La grand mère se dépêchait de préparer une bassine d’eau pour aider à faire baisser sa fièvre. Lorsqu’elle arriva au pied du lit, elle posa un linge frais sur le front de la jeune mère souffrante. 
Leanne agrippa le bras de la mère de Garrick avec ses doigts crochu et douloureux.  
« Je vous en prie ! Laissez moi mourrir… Partez avec Elliott pour l’Amérique et offrez une belle vie à mon petit » murmura t-elle avec difficulté. 
« Nous ne partirons pas sans vous Leanne… Vous allez guérir »

Une fois que la grand mère eut prodigué quelques soins à la jeune malade, elle rejoignit le grand père qui était resté à l’écart. 
« Qu’allons nous faire ? » demanda t-elle
« Il faut se rendre à l’évidence, Leanne ne vaincra pas cette maladie. Chaque jour nous mettons le petit en danger… Nous avons tout juste l’argent pour partir. Nous devons respecter sa volonté et prendre soin d’Elliott ». 

Au même moment, le grand-père ouvrit une lettre que la famille avait reçu le matin même. Une lettre du gouvernement britannique. Les terres de Flanagan étaient confisquées à la famille qui ne payait plus ses acres et s’endettaient chaque semaine un peu plus. 
« Ils nous demande de quitter la ferme dans les plus bref délais… Cette fois c’est la fin ! » annonça le grand-père avec une mine dépitée. Il prit le temps de s’assoir sur une chaise et agrippa, avec ses mains tremblantes, son visage creusé par la fatigue. 

« Mais ce sont nos terres !! où allons nous aller ? Leanne est malade, nous ne pouvons pas la déplacer » s’inquiéta la grand mère. 
« Les britanniques n’en ont rien à faire du sort de notre pauvre Leanne. Personne ne va s’émouvoir de la regarder mourrir dans une ruelle sale de la ville » 
Le grand-père n’hésitait pas à parler crument. Mais il ne faisait qu’exposer la dure réalité de cette époque. Beaucoup de petits fermiers perdirent leurs terres durant cette famine. La Land’s League et la couronne britannique se ré-approprièrent beaucoup de territoires, laissant de nombreuses de familles à la rue. Si certaines d’entre-elles réussirent à quitter le pays, une grande majorité attrapa diverses maladies et mourut dans des camps de fortunes près des grandes villes où la famine des oubliés n’intéressait guère.

« Vous devez partir… Flanagan mourra avec moi . Laissez moi ici et emmenez Elliott en Amérique » Demanda à nouveau Leanne qui avait tout entendu. 
« Nous irons chercher le petit demain matin pour que tu lui dises au revoir » chuchota la grand mère tout en caressant les quelques derniers cheveux de Leanne. 
Soulagée, la jeune mère se mit à pleurer et remercia les parents de Garrick d’avoir autant pris soin d’elle, d’Elliott et de Flanagan. 

Mon père quitta discrètement les combles de la maison, redescendit l’échelle et partit en direction de la grange. Une fois allonger dans la paille. Il se mit à hurler, pleurer et à donner des violents coups de pieds contre le planché qu’il détruisit de colère à plusieurs endroit. Il était désemparer, il aurait voulu savoir contre qui passer sa rage mais dans la situation qu’il vivait il n’y avait pas de fautifs ou de méchants… Uniquement des victimes désemparées. 

Au petit matin, les grands parents vinrent réveiller mon père qui était tombé de fatigue après sa colère de la veille. Ils avaient déjà les yeux embués de larmes et tentèrent d’expliquer la situation au petit Elliott. 
« Tu vas venir voir ta mère dans la maison… Mais sache qu’elle est très malade. Tu verras… elle a beaucoup changé. Elle veut te dire au revoir… » 
A peine la grand-mère eut finit sa phrase qu’elle éclata en sanglot. Mon père caressa ses vielles joues ridées et tenta de la rassurer. 
« Ne pleure pas grand-mère… Tout va bien se passer… » 
Le médecin de famille était aussi venu à Flanagan ce matin là. Il donna quelques recommandations à mon père, comme de ne pas toucher sa mère, de garder une certaine distance, de parler lentement et doucement.  

Quand Leanne vit son Elliott arriver, un beau sourire se dessina sur son visage malade. Elle paraissait illuminé et sereine. Mon père resta debout à distance du lit dans lequel elle était couchée. 
« Mon beau Elliott ! Tu vois je suis bien malade… J’ai demandé à tes grands-parents de t’emmener en Amérique. Là bas vous allez avoir une vie belle et exaltante. Tu pourras vivre comme un prince, manger à ta faim, t’instruire et devenir un homme dont toute la famille sera fière ! »
Leanne demanda à mon père d’ouvrir le tiroir de sa table de chevet. Il s’en approcha et y trouva un gland du grand-chêne qui dominait autrefois les terres de Flanagan. 
« Je l’ai gardé depuis tout ce temps en espérant te l’offrir le moment venu… »
Mon père contemplait avec joie ce restant du grand chêne qu’il aimait tant. Il le faisait glisser dans ses doigts et le serra fort dans sa main comme pour appuyer la valeur que ce cadeau avait pour lui. 
« Ne laisse jamais les gens te dire que Flanagan est morte Elliott… Tu vas la reconstruire, ailleurs, encore plus belle. Tu vas faire revivre le grand chêne. Il sera notre mémoire… tu penseras à moi chaque jour, tu penseras à Glengoole et à l’Irlande… Tu vas devenir quelqu’un de bien Elliott… Quelqu’un de grand et d’important comme notre grand-chêne ».

Mon père resta silencieux. Il savait que s’il essayait de sortir le moindre mot de sa bouche, la tristesse qu’il contenait aurait pris le contrôle de son être. Leanne savait tout l’amour que son fils lui portait. Elle aurait tant aimé pouvoir sécher les larmes qui coulaient sur son visage. Mon père continuait à la voir comme la plus importante des femmes, la plus belle, la plus aimante et la plus courageuse…           
Après ces adieux difficile, le petit Elliott fut rejoint par ses grands parents qui l’emmenèrent hors de la maison. Le docteur resta au chevet de Leanne. Mon père apprit quelques années plus tard qu’elle cessa de respirer peu de temps après son départ. Dans une carriole bancale, la famille avait rassemblé le peu d’affaires qu’elle possédait et souhaitait amener en Amérique.    

Mon père cessa de parler, il regarda Glengoole disparaître derrière les collines avec sa gorge serrée. Elliott ne regardait pas la route qui les conduisait vers le port le plus proche. Il ne rêvait pas d’Amérique, de nouvelle vie ou de nouveau départ. Il venait de perdre son insouciance et n’avait désormais qu’un seul but : Replanter un jour le grand chêne de Flanagan.  

Ma mère qui ne s’était pas interrompue pendant des heures, jeta un regard empreint d’émotion à travers les planches de bois de la grange d’où l’on pouvait apercevoir le chêne qui trônait près de la maison. Je voyais désormais cet arbre comme un être précieux et inestimable… Une part de notre âme qui était venue planter ses racines sur une terre qui n’était pas la sienne. Il y avait trouvé malgré tout sa place et sa légitimité.

Chankoowashtay aussi regarda cet arbre avec fascination. Jamais il n’aurait cru qu’un arbre soit assez fou pour traverser les océans et venir vivre au pied des rocheuses. Là où la vie semblait peu à peu moins idyllique et moins généreuse. Chankoowashtay n’y voyait pas seulement un arbre, il pouvait y ressentir tous les combats de mon père. 

« Vous m’en voyait désolé pour votre époux… Son enfance lui a été volé. Il n’ y a rien de plus cruel que la douleur d’un enfant » Répliqua Chankoowashtay. 
La nuit venait de tomber sur Flanagan. Les grillons avaient repris leur chant près des herbes qui entouraient la grange. Ma mère alluma plusieurs lanternes, puis retourna s’assoir auprès de moi et du guerrier sioux. L’atmosphère était douce, la valse de ces petites flammes semblait protéger nos confidences et nous appeler à en faire d’autres.

J’avais très envie d’en savoir plus sur Chankoowashtay. De connaitre sa vie, son enfance, ses rêves et de comprendre pourquoi aujourd’hui notre Amérique le rejetait. 
« Raconte nous ton enfance dans les plaines ? »
Chankoowashtay regarda longuement les flammes des lanternes qui prenaient de plus en plus d’espace et chassaient peu à peu l’obscurité de la grange. Le sioux se mit à rire. Il m’agrippa et m’invita à m’assoir sur ses genoux. Ma mère finalement peu à l’aise sur les monticules de paille, vint s’assoir elle aussi en tailleur près de nous. 

« Beaucoup de gens m’appellent le Sioux… Je n’aime pas vraiment ce terme.  Moi, je suis un Lakota Oglala. Je suis né à peine deux jours de marche d’ici. Au sommet d’un colline où mon peuple posait son campement au printemps pour voir arriver les bisons. Mes parents m’ont appelé Chankoowashtay, ce qui signifie ‘’le droit chemin’' dans ma langue. Pour commencer mon histoire je vous direz que j’ai eu une enfance heureuse… Très heureuse sur ces plaines… »

Fin du Chapitre 7
Suite de l'histoire le 25 septembre

1 commentaire:

  1. Cette histoire me touche tellement. On voit que tu aimes les destins tragiques a la Victor Hugo. J'ai trop envie de savoir l'enfance de Chankoowashtay ! Encore qqlq semaines à attendre... :)

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