Translate MY BLOG !

lundi 23 avril 2018

Chapitre 3 (Il neigera bientôt sur Pine Ridge)

Retrouvez les chapitres précédent en cliquant ici :


(version audio du Chapitre 3)

Chapitre 3

Le lendemain, sur la route qui nous reconduisait à la ferme Flanagan, les conversations étaient peu nombreuses. Ma mère, silencieuse, se contentait de fixer le guide du cheval qu’elle tenait fermement. De temps à autre notre carriole, remplie de marchandises et de vivres, penchait d’un côté, puis de l’autre, me donnant la désagréable impression que nous allions sortir de la route et finir dans un ravin.

Il faisait une chaleur écrasante et nous avions le soleil en pleine face. Ma mère avait pris soin de mettre un large chapeau de paille, qu’elle nouait souvent à l’aide d’un jolie foulard de couleur bleue. Il était peu élégant, mais je la trouvais toujours très belle lorsqu’elle le portait. De mon côté, je n’avais pas jugé utile d’emporter ma casquette en feutre. Celle que mon père m’avait offert après l’un de ses voyages à Denver. Je devais donc affronter ce soleil qui cognait sans cesse sur mon crâne et faisait chauffer mes cheveux roux. Ma longue frange m’aidait à me protéger de ses rayons agressifs. 

Je me contentais de jouer avec le totem que m’avait donné Chankoowashtay. Je caressais de mes doigts les moindres rainures, les imperfections du bois, les ondulations. Je me passionnais pour ce loup sculpté. Un loup assez métaphorique et poétique, dont les crocs étaient exagérés. Ses yeux larges semblaient observer mes moindres gestes. Mais ce loup de bois était bienveillant. Je l’avais décidé ainsi, il serait désormais mon porte bonheur et mon guide. 

« Il est beau ce totem… » lança maladroitement ma mère, pour engager une conversation après des heures de route silencieuse. « Qui te l’a offert ?… »
Il n’en fallu pas plus pour attiser mon envie de parler des événements de la veille et de ce Sioux qui m’avait fasciné. Je commençais à raconter notre brève rencontre et surtout l’altercation entre les promoteurs du chemin de fer et les Lakotas. Je ne tarissais pas d’éloges au sujet de Chankoowashtay, déformant même ici ou là, quelques évènements pour assoir un peu plus l’héroïsme de ce guerrier. 

Une fois mon histoire exaltante achevée, je ne pu m’empêcher de m’interroger sur ce conflit de plus en plus palpable qui nous opposait aux Lakotas. Il y avait beaucoup d’éléments qui m’échappaient dans la colère de Chankoowashtay. Le long discours qu’il avait tenu fasse à la foule et aux promoteurs arrogants la veille, me paraissait flou et parsemé de zones d’ombres que j’attribuais à mon jeune âge. Je ne comprenais pas totalement que nous étions en train de bouleverser le mode de vie des Sioux et que nos affrontements à venir n’étaient qu’une question de pouvoir et de progrès. 

« Pourquoi les Sioux sont si en colère maman ? » 

« Oh c’est une bien longue histoire… » soupira ma mère avant de se lancer dans un long monologue, dont elle seule avait le secret pour vous faire oublier le temps et rester accroché à ses lèvres… 

Elle commença par me parler du traité de Fort Laramie en 1851. Un événement majeur et symbolique. Le gouvernement des Etats-Unis réussit l’exploit de faire s’entendre plusieurs Nations Indiennes autour d’un texte leur garantissant la propriété des grandes plaines qui traversaient le pays du nord au sud. Plusieurs grands chefs se déplacèrent à Fort Laramie en vue de la signature de ce traité : Little Crow de la Nation Sioux, Black Kettle de la Nation Cheyenne, Left Hand de la Nation Arapahopla, Aleek-chea-ahoosh de la Nation Crow, Washakie de la Nation Shoshone, Big Mouth Spring de la Nation Assiniboine, Sitting-Bear de la Nation Arikara et deux guerriers représentant les Nations Mandan et Hidatsa. 


Tout cela, amenait des frontières claires et pérennes pour les différentes tribus, permettant même d’instaurer la paix entre la Nation Lakota et la Nation Crow. Le gouvernement américain, s’engagea à payer une taxe aux différentes nations afin de traverser les plaines ou d’y installer des forts militaires. Ses taxes, allaient permettre aux tribus indiennes de devenir plus puissantes et influentes face aux Etats-Unis d’Amérique. Mais les promesses amenaient par ce traité ne furent pas réellement respectées. Dès 1858, seulement sept ans après la signature, une nouvelle ruée vers l’or vit le jour du côté de Pikes Peak dans le Colorado. Les chercheurs d’or firent très vite pression sur le gouvernement pour récupérer les terres… 

En 1861, un deuxième traité fut signé. Un traité plus rude et injuste pour les Amérindiens qui voyaient leur territoire morcelé et considérablement réduit, entrainant des déplacements de population qui n’émouvaient que très peu les représentants à Washington. Beaucoup de chefs indiens furent désavoués par les leurs, à l’issue de ces négociations. Certaines tribus refusèrent de quitter les terres qu’ils avaient sournoisement perdu avec ce traité. Tout cela conduisit au massacre de Sand Creek, le 29 novembre 1864. Le colonel John Chivington attaqua, avec ses hommes, un village Cheyenne se trouvant en dehors des terres accordées aux Indiens. Plus de 150 Cheyennes perdirent la vie à Sand Creek, des femmes, des enfants, des vieillards pour la plus part. 

Chivington, devint un héros… Celui qui avaient eu le courage de combattre des guerriers cheyennes hostiles à l’armée des Etats-Unis. Mais la véracité des faits rattrapa très vite son prestige. Pas moins de 100 femmes figuraient parmi les victimes du régiment… Un nombre qui ne corroborait nullement avec les dires du colonel, qui affirmait avoir abattu, pour la grande majorité, des hommes rebelles. Chevington ne fut jamais puni pour ses actes… Mais il fut poussé à la démission et retourna à la vie civile en 1865.  

Les Sioux Lakotas, craignaient de subir le même sort funeste que les Cheyennes. Ils voyaient les accords passés avec le gouvernement des Etats-Unis, sans cesse bafoués. Des pionniers  traversaient leurs terres, s’accaparant illégalement des territoires et l’armée ne payait pas les taxes qu’elle avait promis à la Nation Lakota. Le chef Red Cloud obtint, après une guerre de deux ans, la signature d’un nouveau traité en 1868. Un traité symboliquement signé à Fort Laramie. Le gouvernement fit la promesse que les Black Hills resteraient la propriété des Lakotas. Red Cloud négocia le démantèlement de plusieurs forts militaires ainsi qu’un vaste territoire de plusieurs milliers de kilomètres pour les différentes tribus Sioux.  

Mais une nouvelle fois, des violations au traité commencèrent à arriver. En 1874, le général Georges Armstrong Custer, victorieux de la bataille de Washita, ayant couté la vie à de nombreux Cheyennes dont le chef Black Kettle, s’aventura sur les terres Sioux avec 1200 soldats, violent ouvertement le traité de Red Cloud. Custer y trouva de l’or… Beaucoup d’or. Depuis cela, des pionniers en grand nombre suivaient la piste ouverte par Custer, mais cette fois les Lakotas avaient décidé de prendre les armes. Le chef Sitting Bull et le chef Crazy Horse avaient réussi à rassembler les Lakotas et les Cheyennes afin de défendre leurs dernières terres. 

Toutes ces histoires de traités, de tribus et de guerres étaient complexes pour un garçon de mon âge. A dire vrai, je ne me rappelle plus vraiment comment ma mère avait tenté de m’expliquer les affrontements entre mon Pays et les Indiens. Il est certains qu’elle m’avait exposé des faits plus simplifiés. Les événements que je vous rapporte ici , sans doute plus lourds et moins innocents, sont avant tout nécessaire pour la compréhension de l’histoire à venir…   

Ces faits que ma mère venaient de me rapporter, rendait mon coeur plus lourd. Je ne cernais plus vraiment le bien et le mal, les menteurs et les héros, les opportunistes et les guerriers. Il y avait en revanche une chose que j’avais bien compris, mon père était parti en prospecteur sur des terres qui ne nous appartenaient pas. Je ne saisissais pas son geste. Il avait grandi au plus près des Sioux Lakotas. Lorsque la ferme Flanagan fut construite par mes grands parents, le territoire indien était encore vaste. Mon père m’avait souvent conté que plus d’une fois les Sioux leur avaient tendu la main… Durant les hivers difficiles, les sécheresses, les épidémies… Notre famille avait beaucoup appris de leur savoir et de leurs astuces agricoles. J’avais la sensation que mon père reniait ses valeurs pour l’appel de l’or. Encore une fois, je ne saisissais pas tous les enjeux de notre époque. Nous étions aux portes d’un nouveau siècle, où les technologies se surpassaient les unes les autres, où l’argent et la réussite étaient les véritables garanties d’une vie agréable. Nous étions à une époque charnière où les fermiers de l’ouest devaient se réinventer s’ils voulaient avoir une place dans la société à venir. Mon père savait pertinemment que la ferme Flanagan n’assurerait plus pour bien longtemps notre bien être. Tous les moyens étaient bon pour sortir notre famille du besoin.  

« Je sais à quel point les Sioux sont important pour toi Dany, je n’essaie pas de changer ça. J’espère que tu garderas cette ouverture et cette curiosité envers les autres. Mais le monde change, il avance. Le train arrive par chez nous, les villes s’agrandissent. Le monde de demain sera exaltant et nous y aurons tous une place et un rôle à jouer ».  argumenta ma mère pour apaiser mes doutes. 

Je ne comprenais pas pourquoi tout le monde s’extasiait face aux avancées de la société. Je trouvais notre vie à Flanagan paisible et simple. Je n’avais pas envie que les choses changent. Je ne voulais pas que le chemin  de fer s’empare des longues routes rocailleuses que j’aimais tant emprunter avec ma mère. J’espérais que Flanagan resterait pour toujours cette ferme recluse où il est si facile d’oublier le temps et ses contraintes. Mais à nouveau, je ne distinguais pas à quel point mes parents avaient besoin de ces changements. Je ne voyais que les bons côtés de notre vie paysanne. Mon père, ma mère, travaillaient durs, pour peu de revenus. Le temps, que je trouvais si doux à Flanagan, s'était montré plus agressif et moins clément avec eux. Mes yeux d’enfants ne voyaient pas à quel point ils étaient fatigués, inquiets et dans l’attente d’une nouvelle vie. 

Ma mère enviait beaucoup la vie de tante Kathleen et oncle Rodger. Elle espérait que mon père ramènerait de l’or à la maison pour que l’on puisse nous aussi s’installer à Sioux Falls et accéder à une vie plus bourgeoise. Très vite, notre conversation tourna autour de l’oncle Rodger. Il avait parlé, la veille durant le souper, de la réserve de Pine Ridge. Un endroit visiblement géré par le gouvernement et qui accueillait de plus en plus de Lakotas de la région. Oncle Rodger avait l’air enthousiaste et surtout impatient de voir tous les Indiens du Dakota du Sud rejoindre cette réserve. Je me méfiais toujours de ce qui rendait oncle Rodger euphorique, généralement cela n’augurait rien de bon. Je tentais donc d’en savoir plus sur Pine Ridge auprès de ma mère. 

Elle ne me cacha pas les raisons de la création de cette réserve. Celle-ci semblait préparer la confiscation prochaine des Black Hills aux Sioux Lakotas. J’ignore si elle pensait réellement ce qu’elle me disait ou si son discours était avant tout celui d’une mère qui se voulait rassurante, mais elle me tint à peu près ces mots :

« Pine Ridge est un grand territoire qui va pouvoir accueillir tous les Sioux de la région. Le gouvernement va leur donner une éducation, des connaissances et les préparer à une vie et un avenir plus juste pour eux. Il est important que nous oublions les conflits passés. J’espère que tout cela permettra de leur offrir une vraie place dans la société. Je sais qu’Oncle Rodger se réjouit de les voir quitter les Plaines. Le progrès va changer la vie de beaucoup de monde, la notre et la leur également. Nous devons tout mettre en oeuvre pour qu’ils profitent aussi de cette chance. Tu ne crois pas ?..»

Je n’avais pas réellement de réponse à apporter à tout cela. L’optimisme de ma mère m’agaçait. La seule chose que je constatais, c’était qu’une nouvelle fois, nous nous apprêtions à bafouer les termes d’un traité. Comme si notre gouvernement n’avait que faire des promesses faites aux Indiens. Tout au long de la route, au fil des explications de ma mère, je comprenais un peu plus la colère de Chankoowashtay… Je commençais même à la trouver légitime et ironiquement je la partageais. 

« Moi je n’ai que faire du progrès… J’aurai voulu qu’ils restent vivre ici pour toujours ! » 

Sur ces mots déçus, je tournai le dos à ma mère. Nous ne nous adressâmes plus la parole jusqu’à la ferme Flanagan. Silencieusement, je me laissai transporter par la beauté des plaines, par son spectacle qui visiblement n’était plus vraiment compris. 

Fin du chapitre 3

1 commentaire:

  1. Passionnant ! J'apprends beaucoup au travers de cette histoire, j'ai hâte de lire le Chapitre 4 je ne peux plus m'arrêter

    RépondreSupprimer