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dimanche 1 juillet 2018

Chapitre 6 (Il neigera bientôt sur Pine Ridge)

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(Version Audio du Chapitre 6)

Chapitre 6

L'une des choses que j’aimais le plus dans les premières heures du jour à Flanagan, c’était le chant du coq qui nous réveillait. Ensuite, la brise qui venait caresser les rideaux de ma fenêtre que je laissais toujours entrouverte. Et pour finir, l’odeur de l’herbe fraîche et encore humide de la rosée du matin. 
Ce matin du 1er Juillet 1876 ne dérogea pas à ce rituel si cher à mon enfance. Mais depuis quelques jours il y avait un autre événement qui attisait également mon envie pressante de me lever : Apporter le petit déjeuner à Chankoowashtay qui se rétablissait lentement dans notre grange. 

En arrivant dans la cuisine, je retrouvai ma mère qui avait déjà préparé tout ce qu’il fallait pour redonner des forces au guerrier que nous abritions en secret : Des tartines de pains, de la confiture fraîche et des oeufs brouillés. Nous partîmes en direction de la grange sans plus tarder. En y entrant, nous découvrîmes Chankoowashtay en train d’achever sa dernière sculpture en bois. Un ours se tenant droit sur ses pattes arrières et montrant fermement ses crocs… Un ours qui symbolisait surement sa colère et son impuissance.

Lorsqu’il nous vit arriver, Chankoowashtay demanda très vite à ma mère de l’aider à marcher de nouveau. Il souhaitait retrouver rapidement la mobilité de ses jambes et pouvoir reprendre la route pour rejoindre sa famille et sa tribu. Ma mère accepta mais demanda au guerrier Sioux de ne pas faire d’efforts inutiles qui auraient pu réouvrir sa blessure à l’abdomen. Elle plaça le bras droit de l’indien sur sa nuque pour lui donner un appuis, tandis que moi, bien plus petit, je me contentai de lui tenir l’autre main et de jouer le rôle d’une béquille sur laquelle on ne peut vraiment se fier. Nous fîmes ensemble, deux ou trois tours de la grange, mais très vite Chankoowashtay commença à fatiguer et à se rendre compte qu’il lui manquait encore bien des forces pour reprendre son voyage. 

« Je ne supporte pas d’être impuissant et coincé ici pendant que mon peuple se bat quelque part pour sa survie ! » hurla Chankoowashtay en jetant de colère son ours qu’il venait d’achever. 
« Il est encore bien trop tôt… La cicatrisation peut prendre des semaines »
Ma mère tenta de le calmer et de lui faire comprendre que ses blessures étaient sérieuses mais déjà en bonne voie de guérison. 
« De toute façon lorsque je serais guéri, le sergent qui rode autour de votre ferme fera tout pour m’arrêter… Il sait que j’ai tué le général Long Cheveux…. Il voudra sa vengeance ! j’ai la sensation d’être pris au piège, juste bon à attendre de savoir si je mourrai de mes blessures dans cette grange ou d’une balle dans la tête dans votre arrière cours…» avoua le guerrier Sioux avec peu d’espoir. 

Ma mère qui avait déjà eu la version de cette bataille par le Sergent Thomas, demanda cette fois à Chankoowashtay de lui raconter l’affrontement. Etrangement cette fois ci elle ne m’empêcha pas d’écouter et je pu comprendre tout le récit. 

« Quelques jours avant la bataille de Little Big Horn, nous avions déjà affronter le général Crook à Rosebud Creek. Nous ne savions pas encore si notre coalition entre Sioux et Cheyennes allait tenir la route. Nos chefs respectifs, Crazy Horse, Gall et Lame White Man parlaient d’une seule voix et s’est ce qui a fait que nous avons remporté la victoire. Après cet affrontement nous savions que la guerre ne faisait que commencer. Il fut donc décidé que les femmes, les enfants et les vieillards de nos clans devaient partir seuls de leur côté dans nos territoires des Black Hills… Cela fait longtemps que je suis un guerrier… Que je combat pour ma tribu et pour ses valeurs… Mais jamais je n’avais fait mes adieux à ma femme et mon fils parce que j’étais toujours sûr de rentrer… Cette fois j’ignorais ce qui allait nous arriver et j’ignorais surtout qui étaient les plus en danger… Eux ou moi ? »  



Chankoowashtay avait une aisance assez admirable pour raconter une histoire. On pouvait facilement percevoir que cela faisait partie de sa culture et de son héritage de savoir transmettre avec force et émotion des récits qu’ils soient véridiques ou oniriques… Historiques ou personnels.   

« La veille de la bataille, nous avons exécuté nos danses et nos chants de guerres respectifs. Sur les plaines de Little Big Horn, ce fut le plus beau spectacle qu’il m’est été donné de voir. Nous étions tous là, Les Oglala,  les Cheyennes, les Minniconjou, les Brûlés, les Hunkpapa, les Santee… nous chantions nos chants guerres qui se mélangeaient et semblaient peu à peu se rejoindre dans une seule et même voix. La bataille commença le lendemain dans le milieu de l’après midi. Une première cohorte de soldats s’est jetée sur nos campements. Mais Crazy Horse grâce à des éclaireurs savait que Custer restait en arrière de la rivière et prévoyait de lancer ses troupes un peu plus tard. Nous avons donc décider de déjouer leur plan et d’aller à leur rencontre pour protéger nos campements. Pour vous dire la vérité cette bataille m’a paru interminable et pourtant je n’en ai aucun souvenir concret et palpable. J’ignore combien de flèches j’ai tiré, combien de cous j’ai égorgé… Durant ces longues heures, je ne pensais qu’à ma famille, à notre liberté volée et à cette terre que je savais déjà perdu… » 

Je ne m’étais jamais rendu à Little Big Horn et ne connaissais pas les territoires du Montana. Mais grâce à la précision des descriptions de Chankoowashtay, je pouvais m’imaginer cette affrontements et la violence à laquelle il avait dû faire face cette journée là. Je pouvais me représenter ces Cheyennes et ces Sioux réunis dans un même combat… Un combat incontrôlé, tant ils n’avaient que peu de choses à perdre.  

« En fin d’après midi tandis que le soleil allait se coucher, il est apparu devant moi… Le général Long Cheveux. Il suait à grosse goute. Son uniforme était recouvert du sang de mes frères Sioux. Ses yeux semblaient vides, ses pupilles étaient dilatées et tremblantes. Il s’était tant nourri de la violence ambiante qu’il l’incarnait totalement. Elle possédait tout son corps et son esprit. La seule chose encore perceptible dans ses yeux, c’était la haine.  Mais à dire vrai, je pense que je portais une part non négligeable de violence également. Nos rages étaient tellement fortes que je savais que l’un de nous se coucherait ici, dans l’herbe, au bord de la rivière. Long Cheveux voyait que ses hommes étaient en déroute et qu’ils tombaient les uns après les autres… De mon côté j’avais vu Lame White Man, le chef Cheyenne, recevoir une balle en pleine face et mourrir à quelques mètres de moi. Notre combat fut déterminé mais rapide tant nos forces s’amenuisaient. J'ai saisie une arme abandonnée sur un cadavre de l’armée. J’ai donné un coup net dans l’abdomen de Custer, sur le côté gauche. Long Cheveux se mit à rire en disant que je ne savais pas tirer. Il ne ressentait plus la douleur tant son esprit l’avait abandonné. Lorsqu’il se rendit compte que la blessure que je lui avait infligé était sérieuse et qu’il perdait beaucoup de sang, le général passa son fusil dans sa main droite et le pointa vers moi. Je pensais qu’il allait me porter le coup fatal, et pourtant, il mena lentement son arme sur sa tempe » 

Chankoowashtay nous rapporta les derniers mots de Custer avant qu’il ne se donne la mort. Derniers mots qu’il balança en ricanant et en conservant sa prestance et sa dignité : « Ce n’est pas toi qui m’arrachera la vie le Peau Rouge… Personne ici n’est assez digne pour être le meurtrier du Général George Armstrong Custer ! Je suis une légende, vois-tu ? Et les légendes choisissent toujours leur mort ! » 

Une fois le coup de feu parti, le corps de Custer s’écroula dans les bras de Chankoowashtay.  Fatigué par ce combat, il se laissa tomber avec lui. Le guerrier Sioux nous rapporta qu’il ignora encore combien de temps les affrontements continuèrent après cela. Ce n’est que dans la nuit, qu’un des siens le retrouva aux côtés de Custer. Les troupes des Etats-Unis s’étaient retirées. La bataille repris le lendemain mais face aux pertes de la veille du côté des Américains, la victoire des clans Sioux et Cheyennes ne faisait plus aucun doute.

Ma mère fut surprise par la franchise de Chankoowashtay. Il lui rapporta que les mutilations faite à la dépouille de Custer n’intervinrent qu’après la bataille. Elle fut également étonnée que cet homme, pourtant si combattif, se soit finalement donné la mort…
L’heure du déjeuner arriva. Par ce bel après midi, ma mère et moi décidâmes de partager notre repas avec Chankoowashtay. Nous installâmes une grande couverture sur la paille dans la grange et oubliâmes un instant ses histoires tragiques. Les rires revinrent alimenter notre casse-croûte. Ma mère raconta à Chankoowashtay quelques histoires cocasses sur notre vie à Flanagan. Chankoowashtay s’amusa entre autre des noms que nous donnions à nos vaches et nos poules. 
Ce moment de détente fut de courte durée… Le bruit d’une carriole qui se dirigeait vers Flanagan se fit entendre dans le lointain. Je regardai avec précision entre les planches de bois de notre grange et reconnue sans difficulté Tante Kathleen et Samuel. 

Nous rangeâmes avec rapidité notre déjeuner. Ma mère avisa Chankoowashtay de ne pas s’en faire et de rester silencieux. Dans le fond elle n’était pas vraiment surprise de voir Tante Kathleen arriver à Flanagan. Elle avait très certainement lu la presse et était venue s’assurer que nous étions en sécurité et sains et saufs. En sortant de la grange, ma mère me donna une mission : « Dany, surtout il faut que personne ne s’approche de la grange. Je compte sur toi pour veiller sur ton cousin Samuel et ne jamais le quitter des yeux une minute. De mon côté je me charge d’occuper Tante Kathleen ». 

Dans ma naïveté et mon insouciance enfantine, je trouvais cette situation très exaltante… J’avais l’impression que ma mère et moi étions investis d’une mission importante et que tout cela constituait presque un jeu… J’étais à mille lieux de me douter que Chankoowashtay ou même nous, courions un grave danger si l’on découvrait ce qui se tramait à Flanagan. 
Quand Tante Kathleen gara sa carriole devant notre maison, elle se jeta sans plus attendre dans les bras de sa soeur. Elle éclata même en sanglot. Ma tante avait dû se faire tellement du mauvais sang et je n’imaginais même pas ce qui avait traversé son esprit durant le long trajet de Sioux Falls à Flanagan. 

« Lorsque j’ai appris cette horrible bataille, j’ai tout de suite eu peur pour toi, Margaret ! Je savais que ces sauvages allaient finir par devenir dangereux. Depuis plusieurs jours, les journaux ne parlent que de rebelles Indiens qui pillent et brûlent des fermes autour des Black Hills… J’avais tellement peur qu’il vous soit arrivé quelque chose. Lorsque j’ai vu au loin que la ferme était encore debout j’étais soulagée » argumenta Tante Kathleen tout en déchargeant sa carriole de quelques affaires et de vivres qu’elle avait amené avec elle en prévision d’un drame. 

Tante Kathleen n’aimait pas vraiment Flanagan. Elle trouvait qu’ici nous étions loin de tout et que nous manquions de commodités et de confort. Ma mère, toujours dans l’optique d’occuper sa soeur, proposa à tante Kathleen de prendre le thé dans l’herbe sous notre grand chêne qui était bien à l’écart de la grange. Elle sortit une couverture épaisse qu’elle prit soin d’étendre sous les branchages les plus généreux. Ma mère apporta le thé et une tarte au citron qu’elle avait confectionné la veille. Même si nous avions très envie d’aller jouer, Samuel et moi ne pouvions manquer ce goûter. 

Les conversations durant cette collation ne tournaient qu’autour de notre supposé départ de Flanagan car Tante Kathleen était venue en espérant nous ramener à Sioux Falls… Je ne disais trop rien mais mon visage témoignait certainement de mon manque d’enthousiasme face à ce projet.  
Ma mère avança plusieurs argument pour refuser la proposition de sa soeur. Elle prétexta de devoir s’occuper des bêtes, du potager et faire quelques retouches de peintures sur la maison tant que les beaux jours étaient encore là. 

Au même moment, le sergent Thomas et quelques uns de ses hommes passèrent à cheval, le long du sentier qui longeait Flanagan. Ils étaient toujours à la recherche de l’Indien qui leur avait échappé. Le sachant blessé, ils se doutaient qu’il ne pouvait être que dans les alentours de notre ferme. Tante Kathleen avec son flegme habituel, se leva et apostropha les soldats : 
« Messieurs ! venez c’est l’heure du thé ! » lança t-elle sans même discuter avec ma mère de l’invitation de ces hommes… D’ailleurs, son visage devint pâle et je pouvais y voir de l’inquiétude. Elle savait les doutes que le sergent Thomas portait à son égard et elle craignait qu’il profite de cette invitation pour inspecter de nouveau la grange. 

Les soldats et le sergent s’approchèrent et remercièrent les deux femmes pour cette invitation. Ils attachèrent leurs chevaux contre les barrières en rondin de bois qui délimitaient notre territoire et vinrent s’assoir sous le chêne avec nous. Tante Kathleen leur servit du thé et une part de tarte tout en leur demandant : « Puis-je savoir pourquoi vous patrouillez autour de la ferme de ma soeur ? je vous avoue que je suis très inquiète… » 
Sans plus attendre, le sergent Thomas expliqua les raisons de ses patrouilles. Il parla de ces trois Sioux qu’il traquait depuis plusieurs jours. Il affirma en avoir tué deux mais que le troisième restait introuvable.

Tante Kathleen fut choquée par cette histoire et se tourna vers sa soeur. 
« Margaret ! Pourquoi ne m’as tu pas raconter cela ! Tu as un sauvage qui rode autour de la ferme et qui menace votre sécurité et tu ne trouves pas judicieux de m’en parler ?! » 
Le sergent Thomas semblait se délecter du spectacle que lui offrait les deux personnalités si diamétralement opposées de ma mère et ma tante. 
« Kathleen, je te rappelle que les Sioux ont toujours traversé le territoire de Flanagan. Ce n’est pas un Indien isolé qui va me faire peur » argumenta ma mère pour tenter de justifier ses silences. 
Le sergent Thomas en profita pour faire une description plus poussée de cet indien fugitif. Il espérait surement inquiéter un peu plus ma tante avec son histoire :  
« Oui, enfin je vous rappelle madame O’Sullivan que ce guerrier Sioux n’est autre que celui qui a tué le Général Custer à la bataille de Little Big Horn. Il est très dangereux. Il n’a pas hésité à lui asséner plusieurs coup de feu et à mutiler son cadavre tel un barbare !  » 
Ma mère qui avait eu la version des faits par Chankoowashtay quelques heures auparavant, rétorqua avec arrogance au sergent :
« Nous savons très bien que le général Custer était un homme fier et orgueilleux. Je doute qu’il aurait laissé un Indien le tuer. Il n’est pas impossible qu’il se soit lui même donné la mort… » 
« Quand savez-vous madame O’Sullivan ? Vous étiez sur le champ de bataille ? Vous avez vu de vos propre yeux notre général Custer se tirer lui même une balle dans la tête ? »  
« Je pourrai sans mal vous retourner la question Sergent, quelles preuves avez-vous pour affirmer que ce Sioux est le meurtrier du général Custer ? Etiez-vous là au moment  de la bataille ? Avez-vous vu cet indien tué le général Custer de sang froid ? » répliqua ma mère avec une assurance et aplomb assez intolérable dans l’époque à laquelle nous vivions. 

Tante Kathleen était très mal à l’aise. Elle reprit ma mère et lui rappela discrètement qu’elle s’adressait tout de même à une figure d’autorité. Ensuite, elle tenta de justifier la colère plus que palpable de sa petite soeur :  
« Margaret et son époux ont toujours été des défenseurs des Sioux… Ce que d’ailleurs je ne comprends pas… Mais réjouissons nous, vous arrêterez bientôt cet Indien et vous pourrez enfin lever le voile sur ce triste jour qu’a été la bataille à Little Big Horn »
Malgré ses tentatives d’apaisement, le sergent et ma mère s’observaient comme deux ennemis. Ni l’un, ni l’autre ne semblaient prêts à baisser sa garde.  
Le Sergent Thomas en profita pour faire une annonce, que pour l’instant, les habitants du Dakota du Sud ignoraient. Il nous apprit, avec cette désinvolture qui le caractérisait, que le gouvernement, en représailles de la bataille, avait décidé de confisquer les Black Hills aux Lakotas. 
« Nous estimons que ce massacre rend caduque le traité qui leur garantissait la propriété des Black Hills. Nous décidons donc d’en reprendre le contrôle. Les Lakotas n’ont désormais plus d’autres choix que de se rendre dans nos réserves ou sinon ils seront considérés comme des prisonniers de guerre »
« Il semblerait que la tragédie de cette bataille vous arrange bien Sergent, puisque les Black Hills regorgent d’or et que maintes fois nous avons tenté de nous en emparer… Et bien c’est maintenant chose faite… » répliqua ma mère qui était peu étonné par cette nouvelle. 
« Excusez moi Madame O’Sullivan, mais votre mari n’est-il pas à l’heure où nous parlons lui même là bas dans les Black Hills pour trouver de l’or et vous sortir de votre condition paysanne ? » 
Ces mots du Sergent Thomas mirent fin à cet affrontement verbal. Ma mère malgré sa bonne foi et ses positions passionnées, venait d’être mise devant une vérité dérangeante… Elle aussi portait une part non négligeable dans la décadence de la Nation Sioux. 

Après ce goûter, somme toute assez agités, Samuel et moi partîmes jouer autour de la maison. Nous nous inventâmes, comme à notre habitude, une guerre fictive entre les Sioux et les soldats. J’endossais comme toujours le rôle du guerrier Indien tandis que Samuel s’imaginait être un Général haut gradé et respectable. Mais cette fois, alimenté par les confidences de Chankoowashtay et la récente bataille de Little Big Horn, il ne me paraissait plus impossible de gagner la bataille dans nos jeux. Samuel s’agaçait de cette nouvelle règle qu’il trouvait absurde. 
« Tu triches Dany ! L’Indien c’est toujours celui qui doit mourrir à la fin  du jeu ! » 
« C’est faux ! La preuve, les Indiens ont tué Custer et ses hommes à Little Big Horn ! Donc je peux aussi gagner ! » 
L’après midi fila sans que l’on s’en rende compte. Durant nos jeux, à plusieurs reprises je pris soin d’éloigner Samuel de la grange sans jamais qu’il ne remarque que nous cachions quelque chose. J’avais tout de même hâte que lui et tante Kathleen repartent à Sioux Falls pour pouvoir enfin retourner voir Chankoowashtay. 


Malheureusement, ils restèrent à Flanagan pour la nuit afin d'éviter de refaire ce long trajet pénible dans la même journée. Tante Kathleen n’était pas tranquille à l’idée de dormir ici. Elle ne faisait que ressasser les dires du Sergent Thomas. Au moindre bruit qu’elle pouvait entendre dehors, elle sursautait et s’imaginait la venue du guerrier avide de vengeance qu'on lui avait décrit durant l’après midi. Ma mère prépara, le plus discrètement possible, un repas pour Chankoowashtay. Elle prétexta devoir aller prendre soin d' une vache malade à l’étable pour s’absenter. Tante Kathleen, qui de toute façon ne prêtait aucun interêt aux travaux de la ferme, laissa sa soeur s’éclipser sans se poser la moindre question.  

Lorsque ma mère entra dans la grange, elle trouva un Chankoowashtay dépité et plein d’incertitudes. Il avait entendu la conversation de l’après midi sous le grand chêne. Il savait désormais que les Black Hills n’étaient plus sa maison. Ma mère ne savait pas quoi dire ou faire… Elle se sentait impuissante mais aussi un peu coupable du sort que subissait le guerrier Sioux. Chankoowashtay savait désormais que mon père faisait parti des chercheurs d’or dans les Black Hills et qu’il était abrité par une famille qui causait, malgré elle, sa perte. 
« Alors comme ça, votre époux, Elliott, est un Wasichu ! » Annonça Chankoowashtay avec une colère qu’il ne tenta pas de dissimuler. 
Ma mère ignorait la signification du terme Wasichu mais elle se doutait bien que ce mot Sioux n’était surement pas très reluisant. 
« Un Wasichu, c’est un voleur, c’est celui qui vient vous prendre vos richesses, le meilleur de vous. C’est celui qui dégouline d’arrogance, qui n’a pas de principes… Qui se sert le premier, qui piétine les autres… Je croyais que Custer était mon pire cauchemar… Mais être assis ici dans la ferme d’un homme sans honneur… C’est ça l’enfer » 

Chankoowashtay contenait tellement de rage et de peur qu’il tremblait et ne pouvait retenir les larmes qu’il accumulait depuis la bataille de Little Big Horn. Ma mère, honteuse, se contenta de poser le repas de Chankoowashtay sur le foin et sans un mot commença à se diriger vers la porte.
Le guerrier Sioux jeta le repas contre l’un des murs de la grange et se mit à hurler. 
« Je n’ai pas faim !!! Comment pourrais-je manger alors que je sais désormais que les miens sont en danger, qu’ils n’ont plus de terres, plus d’avenir… Je me suis toujours battu pour que ma femme et mon fils ne finissent pas à Pine Ridge. Je veux me battre ! je ne sais faire que ça… J’ai passé ma vie à me battre pour cette terre… Une vie entière et bien remplie. J’ai soutenue les chefs et accepté les traités… Et je viens de tout perdre… Je suis déjà mort de l’intérieur ! » 

Emporté par sa colère, Chankoowashtay se leva, rassembla ses affaires et annonça à ma mère qu’il préférait partir. Il avait conscience des risques que nous prenions pour lui. Malgré la déception qu’il pouvait ressentir à notre égard, il ne voulait pas nous mettre nous aussi en danger. Mais le guerrier Sioux était encore bien faible et la rage qu’il venait d’exprimer l’avait beaucoup fatigué. 
Il tremblotait et faisait même de la fière. Alors qu’il allait sortir par la porte de derrière, celle qui fut fatale à ses camarades quelques jours auparavant, il s’écroula et tomba dans l’inconscience. Ma mère prit soin de le ramener dans la grange et de l’allonger à nouveau dans le foin. Elle resta quelque minutes au chevet de l’Indien. Elle serra sa main avec compassion en espérant lui transmettre un peu de ses forces. Elle apposa délicatement un linge humide sur son front pour faire baisser sa fièvre.  Chankoowashtay semblait s’être endormi pour la nuit alors ma mère se retira discrètement de la grange. 

Le matin suivant, Tante Kathleen et Samuel repartirent alors que le soleil commençait tout juste à éclairer les collines. Elle proposa une dernière fois à ma mère de la suivre à Sioux Falls.
« Ne t’inquiète pas pour nous Kathleen je sais ce que je fais ! Et puis Elliott va bientôt rentrer… » 
Ma tante savait les différences qui l’opposaient à sa soeur… Mais dans le fond elle avait une admiration sans bornes pour elle et surtout elle l’aimait quelques soit ses choix ou ses positions. 
Tandis que nous regardâmes leur carriole s’éloigner sur les routes rocailleuses, nous aperçûmes le Sergent Thomas et ses hommes qui patrouillaient déjà dans le secteur à la recherche de Chankoowashtay. Mais désormais, ils semblaient baisser les bras… Nous entendîmes au loin la voix lourde et imposante du sergent Thomas qui annonça à ses hommes : 
« Nous allons abandonner ce secteur… Il semblent évident que l’Indien ne cache pas par ici » 

J’avais hâte de retourner voir Chankoowashtay dans la grange. Mais ma mère prit soin de me prévenir qu’il était très en colère et qu’il serait surement peu enclin à discuter aujourd’hui.  Nous arrivâmes tout de même avec un petit déjeuner. Le guerrier Sioux était réveillé. Lorsqu’il nous vit entrer, il s’excusa auprès de ma mère pour son attitude de la veille. Elle comprenait parfaitement la rage qu’il accumulait et lui demanda de ne surtout pas s’en excuser. 
« Pourquoi m’aidez vous ? » demanda Chankoowashtay. 
« Mon mari et moi sommes peut être des Wasichu, comme vous dites… Mais n’est-il pas possible de changer ? de voir les choses sous un autre angle et de porter de nouveaux combats ? Je ne vous abrite pas par pitié… Je vous abrite parce que je veux vous apporter pleinement mon aide » 
Chankoowashtay esquissa un léger sourire qui rassura ma mère. Il commença à manger le petit déjeuner que nous lui avions apportés. Le Sioux nous fit signe de nous assoir à ses côtés. J’étais heureux car cela annonçait l’arrivée de confidences et de nouvelles histoires.

« J’aimerai que vous me parliez de votre époux » 
Chankoowashtay semblait curieux d’en apprendre plus sur mon père. Il voulait savoir ce qui avait poussé un homme si aimé et respecté par sa famille à laisser les siens pour s’aventurer dans les Black Hills.   
« Il a connu tant de misères, d’injustices et de pauvreté… Il mérite plus quiconque le bonheur et la réussite »
Cette introduction de ma mère était parfaite pour nous mettre en condition. Je m’exaltais déjà de ce récit que je ne connaissais pas encore à l’époque. 

« Mon mari aussi est arrivé par bateau aux Etats-Unis… Même si son histoire est assez différente de la mienne, elle n’en reste pas moins tragique… »   

Fin du chapitre

2 commentaires:

  1. j'ai hâte de découvrir la suite!! bravo pour ce chapitre ;)

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  2. Ca va être dur d'attendre la rentrée !!! j'adore cette histoire !

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