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vendredi 26 octobre 2018

La charrette de l'Ankou (Les Contes et Légendes de Faery, sous le vent d'Automne)


Une nouvelle journée commença à Hevernesen. Ivan et Mirage partirent rejoindre Ben et Grimm dans les bois. Les célébrations de la fête de Samain approchaient. Les habitants préparaient les tables qui allaient servir au repas, pendant que d’autres décoraient les maisons et le kiosque des fêtes. 

Au calme dans la forêt, les enfants ramassaient quelques châtaignes et des marrons tout en se racontant des histoires. 
Soudain, une mystérieuse charrette emprunta le sentier et s’arrêta devant eux. Elle était vieille et grinçait beaucoup. A l’arrière, il y avait de la paille et quelques fleurs de tournesols fanées.

Le cocher de ce chargement douteux était habillé d’un long manteau noir et d’une capuche qui dissimulait son visage. Ivan, Mirage et les lutins effrayés, pressèrent le pas.

« Avancez vite et ne regardez pas derrière vous ! » conseilla Ben. 
Le cocher sortit, de dessous la paille, une large faux qu’il pointa en direction des enfants. 
« Courrez vite !!!! » Hurla Grimm en quittant le sentier pour s’enfoncer dans le bois. 

A ce moment là, le cocher se mit à rire et abaissa sa capuche. Il s’agissait en réalité de Robert, le fils ainé de Madame River, la boulangère du village. 

« aha je vous ai joué un bien mauvais tour ! Il est plutôt convainquant mon costume de l’Ankou, vous ne trouvez pas ? je vais terroriser les habitants d’Hevernesen, en arrivant comme ça, pour la nuit de Samain ! » s’amusa l’adolescent. 

Ivan aimait beaucoup Robert, c’était un jeune homme très apprécié. Il avait une joie communicative et savait toujours étonner tout le monde à chaque fête de village. 

« Ce n’est pas drôle Robert ! nous y avons vraiment cru ! » pesta Grimm qui, dans sa course, avait glissé dans une flaque de boue.

« Surtout qu’il n’est pas rare de croiser l’Ankou par les temps qui court ! c’est la saison parfaite pour sa récolte d’âmes »  ajouta Ben encore essoufflé. 

Mirage se mit à se moquer de ses camarades qui étaient vraisemblablement peu téméraires. 

« Allons que vous êtes bêtes ! L’Ankou n’est qu’une légende ! il n’existe pas ! » 

Grimm assura avoir déjà croisé sa route avec une charrette remplie de corps. Ben commença à évoquer la rumeur d’un village entier où l’Ankou était venu chercher des âmes. Ses histoires ne rassuraient guère Ivan et commençait à faire douter la petite Mirage. 

Robert aussi connaissait une anecdote sur le célèbre l’Ankou, ce cocher envoyé par la Mort pour récolter les âmes et les conduire dans l’autre monde. 

« Ma mère m’a raconté une histoire le concernant une fois… Autrefois, elle vivait à Souffle-Brise, un village qui n’est qu’à quelques heures d’ici… »

Robert descendit de sa charrette et amena les enfants au dessus d’un pont en pierre pour leur raconter la venue de l’Ankou dans ce village d’Eriù.
Mirage, Ivan, Ben et Grimm écoutèrent avec fascination, angoisse et interrogation. 
Et si cette créature de l’autre monde existait vraiment ?…    



Cette histoire s’est déroulée au coeur de la forêt d’Eriù, à l’approche de la fête de Samain. A l’issue d’un sentier un peu isolé, où aucun voyageur ne passaient jamais, se trouvait une petite ferme à l’abandon. Le poulailler d’autrefois y était envahi par les ronces et les herbes. La grange où dormaient les bêtes s’était effondrée. Quant au toit de la chaumière, il commençait à montrer quelques faiblesses après plusieurs hivers assez rudes. 

Dans cette chaumière, vivait un vieil homme qui s’appelait Leonn. Cela faisait bien des années qu’il était seul. Sa soeur, avec qui il avait vécu toute sa vie, était morte depuis plusieurs saisons déjà. Le village le plus proche, Souffle-Brise, se trouvait à plusieurs heures de route. Leonn n’y avait aucune connaissance, aucun ami. Il faut dire que c’était un homme bougon, peu aimable et pas très généreux. Beaucoup d’habitants s’étaient détournés de lui… Oubliant même le chemin qui menait à sa ferme. Ce qui avait causé la perte de son exploitation. 

Leonn ne sortait plus de chez lui. Il venait de fêter, cette année là, sa quatre-vingt-huitième année. Son corps n'était plus que tremblote et fatigue. L’arthrose de ses genoux lui faisait terriblement mal. Il se déplaçait à l’aide d’une canne. Son dos était vouté. Lui, qui, pourtant dans sa jeunesse fut un homme assez grand et fringant. Il peinait à lever la tête. Sa vue commençait à faiblir elle aussi. 
Malgré tous ses problèmes de santé qui rendaient son quotidien douloureux, Leonn s’accrochait à la vie. Il refusait de laisser la mort l’emporter pour ennuyer un peu plus les mauvaises langues de Souffle-Brise.

Ce jour là, Leonn commençait une journée bien ordinaire. Il s’était levé de son lit pour s’affaler dans son fauteuil à bascule. Celui-ci faisait face à une cheminée où le feu ne faiblissait jamais.
A onze heure précise, il entendit une charrette venir jusqu’à la ferme. 
Leonn était surpris. Voilà bien des saisons qu’il n’avait pas reçu de visite. Il avait beau être râleur et peu avenant, le bruit de cette carriole dessina sur son visage un léger sourire. Même le plus bougre des hommes ne peut supporter trop de solitude. 

Leonn agrippa sa canne et s’approcha de la fenêtre. Il tira discrètement le rideau pour tenter d’apercevoir le voyageur qui s’était rendu jusque ici. 
Sa charrette était large et imposante. A l’intérieur, il n’y avait aucun chargement, uniquement de la paille et quelques fleurs de tournesols fanées. Le cheval qui tirait ce chargement était maigre. Certains auraient même dit qu’il était malade. 
Le voyageur portait un long manteau noir qui trainait jusque sur les roues de la carriole. Il cachait son visage sous une capuche. 

Après plusieurs minutes sans bouger. Le mystérieux inconnu descendit de sa charrette et se saisit d’une immense faux qu’il dissimulait sous la paille à l’arrière. Il retira lentement sa capuche et laissa apparaître son visage. Un crâne en décomposition où quelques bouts de chair s’accrochaient encore autour de la mâchoire. Leonn, terrorisé, baissa le rideau. Il s’empressa de tourner la clé deux fois dans la serrure pour se barricader. 

Il savait très bien qui était cet être hideux et pourquoi il venait jusque ici. Il s’agissait de l’Ankou, le messager de la mort qui conduisait les âmes vers l’autre monde. Leonn ne voulait pas mourrir. Il retourna calmement s’assoir et saisit une couverture en laine que sa soeur lui avait brodé. Il se cacha le visage tout en murmurant avec effroi : « Partez… Partez… Partez » 

L’Ankou grimpa les quelques marches qui menaient à la porte et frappa trois coups. Leonn resta dans son fauteuil. Comme il n’obtenait pas de réponse, l’Ankou tenta d’ouvrir la porte en tirant avec force sur la poignée. Leonn resta caché. L’hideux cocher commença à faire le tour de la chaumière. Léonn voyait son ombre passer devant chaque rideau, tentant de pousser les fenêtres. A la fois énervé et terrorisé, Leonn cria : 

« Allez-vous en ! Il y a plein d’âmes pour vous à Souffle-Brise… Laissez moi ! » 

A cet instant, Leonn entendit sa chère soeur, Marie-Lyse qui l’appelait.

« Mais enfin ouvre moi Leonn, Bon sang de bois ! il fait froid dehors ! »

Cette voix, Leonn ne l’avait pas entendue depuis bien des années. Il en avait presque oublié la beauté et l’harmonie. 

Leonn ne réfléchit pas une minute et ouvrit la porte. Quelle ne fut pas sa joie, lorsqu’il vit Marie-Lyse entrer dans la pièce. Elle avait avec elle, un large panier de provision, de quoi cuisiner et se nourrir pendant des semaines. Elle montra à son frère les beaux légumes d’automne qu’elle avait trouvé sur le marché de Souffle-Brise. Leonn arrivait à peine à parler. Son coeur s’emplissait de joie de voir à nouveau sa tendre soeur illuminer cette demeure comme autrefois. 

Elle se saisit de la marmite posée dans la cheminée. Une marmite poussiéreuse qui n’avait plus servie depuis bien longtemps. Elle commença à y découper de la citrouille, des navets et des pommes de terre. Elle laissa mijoter puis y ajouta quelques herbes pour en faire une bonne soupe gouteuse. Marie-Lyse en profita pour donner des nouvelles des habitants de Souffle-Brise à son frère.

« Tu devrais retourner en ville avec moi ! je t’assure que les gens de là bas aimeraient te voir plus souvent… La vie est trop courte pour garder tant de rancoeur Leonn ! » 

Une fois la nuit tombée, ils se mirent à table. Leonn alluma quelques bougies. Comme il aimait le faire du temps où la bonne humeur de sa soeur égaillait encore la chaumière. Ce repas était copieux. Cela faisait longtemps qu’il n’avait pas mangé à sa faim. Marie-Lyse se saisit d’un violon qui était posé sur le dessus de la cheminée. 
« Cela fait si longtemps que tu ne t’en es pas servi. Joue moi une mélodie Léonn ! » demanda t-elle. 

Leonn se attrapa l’instrument, fit quelques accordages, puis caressa les cordes avec son archet.  Marie-Lyse sourit. Elle aimait tant l’entendre. Elle ne pouvait s’empêcher de danser et tourner partout dans la pièce. 

« Tu vois je sais toujours pincer les cordes et jouer de mon archet » s’exclama Leonn qui s’étonnait lui même d’enchainer les mélodies. 

Plus il voyait Marie-Lyse tournoyer, plus il se souvint de la peine qu’il ressentit le jour de sa disparition. Il se rappela de la maladie, de la fièvre, des mains tremblantes, de la vieillesse et des yeux qui se ferment. Leonn arrêta net de jouer du violon… 

« Pourquoi arrêtes-tu ta ritournelle ? » demanda Marie-Lyse. 
« Allez-vous en ! Il y a plein d’âmes pour vous à Souffle-Brise… Laissez moi ! » répondit sèchement Leonn. 

Marie-Lyse se décomposa peu à peu… Elle reprit l’apparence de l’Ankou. Surpris d’être démasqué, il tenta d’agripper Leonn pour le conduire dans sa charrette. Le vieil homme lui donna de puissant coup de canne pour le repousser. Il réussit à chasser la créature et ferma la porte à toute vitesse. 
Leonn retourna s’assoir dans son fauteuil. Il reprit la couverture de sa soeur et se mit à pleurer. Il s’en voulait de s’être fait berner par l’Ankou. 

Au milieu de cette nuit inquiétante, la charrette du mystérieux passeur, restait immobile. L’Ankou alluma avec calme plusieurs lanternes au milieu de la paille qui s’entassait à l’arrière. Il remonta à son bord et se dissimula à nouveau sous sa capuche. Leonn venait de temps à autre à la fenêtre pour le regarder discrètement… l’Ankou ne semblait pas décidé à s’en aller. 

Leonn essaya de retrouver son calme en contemplant le feu de cheminée. De temps à autre, il murmurait avec effroi : « Partez… Partez… Partez »
Mais l’Ankou attendait toujours de capturer son âme. 
Submergé par tant d’émotions, Leonn finit par s’endormir. Il ignora combien d’heures il trouva le sommeil. A son réveil, il entendit de la musique à l’extérieur… Il entendit aussi des rires et des chopes de bières qui s’entrechoquaient. 

Curieux, il retourna à la fenêtre et découvrit une grande fête. Ce n’était pas n’importe quelle fête… C’était une célébration d’automne comme il s’en faisait beaucoup dans sa jeunesse, du temps où il vivait encore à Souffle-Brise. Leonn n’en croyait pas ses yeux. Tout le village était là. Son chemin abandonné s’était évaporé. 

Quelqu’un frappa avec entrain à la porte… 
« Leonn ! viens-vite faire la fête avec nous ! » 

Cette voix, Leonn la connaissait bien. C’était celle de la belle Laurinn, son premier amour. Il n’en croyait pas ses oreilles. Il se leva et sortit sur le pas de la porte. 
A cet instant, il sentit son arthrose s’envoler, son dos se redresser et sa vue s’affiner. Leonn était a nouveau jeune et fringant. 

La belle Laurinn qui l’attendait sur les marches de la ferme, l’agrippa par le bras et l’entraîna dans la fête. Leonn était ému de revoir Souffle-Brise comme du temps de sa jeunesse… La vieille fontaine de la place du village, le lavoir, où, petit, il s'amusait après l’école, le kiosque à musique où il avait joué ses premiers airs de violon à vingt ans. 

Il suivait Laurinn dans la foule. Il n’avait pas oublié la douceur de ses mains et ce sourire éclatant qui faisait qu’au village elle était tant aimée. Leonn croisa beaucoup de visages d’autrefois, Madame Albert, Monsieur Tiffaine, la Veuve Léonard, ses camarades d’enfance Tim, Sam et Lewis. 
Il se rappelait de chacun d’eux et malgré les années qui s’étaient écoulées, l’amour qu’il leur portait n’avait pas faibli.

Partout dans Souffle-Brise, les gens célébraient l’automne. Ils dansaient, chantaient et un festin immense était installé au coeur du village. Alors qu’il tenait toujours la main de la belle Laurinn, Leonn se rappela de cette belle robe bleue qu’elle portait… C’était la robe de leur premier et de leur dernier baiser. 

En ce temps là, ils étaient bien jeune et peut être trop insouciant. Laurinn rêvait de devenir comédienne dans les grands théâtres de Scarborough. Leonn, quant à lui, espérait que ses talents de violoniste lui permettraient de se faire connaître à la cité royale. Les parents de Laurinn n’aimaient guère l’influence qu’avait Leonn sur leur fille. Ils ne voulaient pas qu’elle devienne artiste. Le couple décida de s’enfuir le soir d’une fête d’automne afin de poursuivre ses rêves. 

Laurinn avait volé la charrette de son père. Elle était remplie de vivre nécessaire pour le voyage. Elle donna rendez vous à Leonn sur un pont à la sortie du village. Mais Leonn, qui était d’un naturel peureux, ne vint pas à ce rendez-vous. Laurinn, ne le lui pardonna jamais. L’année suivante, elle se maria avec un riche seigneur de Scarborough et quitta Souffle-Brise. Leonn n’entendit plus jamais parler d’elle… Et cela resta sa plus grande déception. 

Mais ce soir, Laurinn était à nouveau là, dans sa robe de la fête d’automne. Une fois près du kiosque à musique, elle glissa un papier dans la main de Léon :

« Rendez vous à minuit sur le pont aux lucioles… Enfuyons nous mon amour ! »

Laurinn embrassa furtivement Leonn sur la bouche et disparut dans la foule. Il savait que ce baiser serait le seul qu’ils s’échangeraient. Les regrets vinrent se saisir de son coeur. Puis, il décida de changer son destin, de monter à bord de cette charrette et de partir à Scarborough avec la belle Laurinn.  

Après avoir bu quelques bières, joué du violon sous le kiosque avec Tim, Sam et Lewis, Leonn s’éclipsa de la fête. Malgré toutes ses années, ils se souvint du chemin pour se rendre au pont aux lucioles. La belle Laurinn l’y attendait. Elle était déjà assise dans la charrette de son père, prête à partir. 

« Vite Leonn ! monte avant que mes parents n’arrivent ! » chuchota t-elle tout en arborant un magnifique sourire. 

Elle tendit sa main pour l’aider à grimper. Leonn ne réfléchit pas une seconde. Il ne voulait pas perdre une nouvelle fois celle qu’il aimait tant. Mais à peine eut-il attrapé sa main que Laurinn se décomposa peu à peu. Le pont aux Lucioles, la fête d’automne, la place de Souffle-Brise disparurent en un battement de cils. Leonn retrouva son arthrose, son dos courbé et sa vue basse. Il n’était pas dans la charrette de sa bien aimée… Mais dans celle de l’Ankou qui avait finalement réussi à le duper. 

Leonn tenta dans un dernier élan de désespoir de descendre de cette carriole maudite mais il était bien trop faible et sa maisonnette était bien trop loin. 
L’Ankou fouetta sèchement son cheval et sa charrette partit au galop dans la nuit avec le pauvre Leonn à son bord. 

Le lendemain matin, une vieille dame, très apprêtée, vint à Souffle-Brise et demanda où elle pouvait trouver le vieux Leonn. Elle venait de la cité royale de Scarborough. Les habitants étaient étonnés que quelqu’un demande à voir cet homme si peu aimé. Ils lui indiquèrent néanmoins le chemin de la ferme.

Vous l’aurez bien compris, il s’agissait de la belle Laurinn. Elle n’avait peut être plus la candeur d’autrefois mais elle était toujours aussi rayonnante malgré son âge. Laurinn aussi avait le dos vouté, de l’arthrose à ses genoux et une vue capricieuse. Son époux l’avait quitté depuis plusieurs saisons. Dans le fond, elle n’avait jamais oublié le beau Leonn. Le rêve de Laurinn s’était réalisé. Elle devint comédienne et joua dans les plus grandes pièces de Scarborough, devant le Roi, la Reine et les grandes noblesses de Faery. 

Lorsqu’elle arriva à la ferme, elle fut désolée de la voir en si mauvais état et prête à tomber. Elle grimpa les quelques marches qui menaient à la porte, frappa trois coups et attendit. Rien… Pas de réponse. Elle se dirigea vers l’une des fenêtres et découvrit Leonn, inerte sur son fauteuil. Elle enfonça la porte mais il était trop tard. L’Ankou était venu chercher son âme. 

Laurinn caressa le visage de Leonn usé par le temps. Il semblait apaisé. Il avait le même sourire qu’au temps des fêtes d’automne et des premiers baisers. Sous son bras, elle aperçut son violon et son archet. Puis, dans l’une de ses mains, un morceau de papier qui disait :   


 « Rendez vous à minuit sur le pont aux lucioles… Enfuyons nous mon amour ! »

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